vendredi 23 mai 2008

Réunification et unité nationale : deux discours diamétralement opposés

Une profonde confusion a fini par s’installer, durablement, dans la tête des Camerounais, à force de répétition. Il s’agit de la contre-vérité selon laquelle, « l’unité nationale », version Ahmadou Ahidjo, et dont le couronnement a été la « révolution pacifique du 20 mai 1972 », autrement dit, l’abolition de l’Etat fédéral et l’instauration d’un Etat unique, serait l’achèvement du combat entrepris par les Camerounais, dès la division de leur patrie par les Britanniques et les Français, le 4 mars 1916.

LE DISCOURS SUR LA REUNIFICATION : UN DISCOURS ANTI-COLONIALISTE

Lorsque les Camerounais ont appris, le 4 mars 1916, la division de leur terre par les nouveaux envahisseurs qu’ont été les Français et les Britanniques, leur colère a été sans bornes, il est né, en eux, l’irrépressible besoin de reconstituer leur pays. Aussitôt, ils ont entamé un combat nationaliste, qui avait la double caractéristique de vouloir le départ des envahisseurs blancs, et la reconstitution de leur patrie. C’était donc un nationalisme d’un type particulier et inédit, au monde. Bien mieux, ce combat était d’autant plus nationaliste que, d’une part, les Camerounais estimaient que les traités douala-allemands, d’une durée de trente ans, venaient à expiration le 12 juillet 1914, ceux-ci ayant été signés le 12 juillet 1884, d’autre part, ils n’avaient nullement été consultés par les Britanniques et les Français, ni pour que ceux-ci prennent la relève des Allemands, ni pour que ces nouveaux envahisseurs procèdent à la division de leur pays.
Les Camerounais étaient d’autant plus fondés à le penser que l’arrivée des Allemands, sur leur terre, s’était produite sur la base d’une convention, c’est-à-dire, avec leur consentement matérialisé par les traités douala-allemands du 12 juillet 1884.
Dès 1919, lors de la conférence de la paix à la fin de la première guerre mondiale à Versailles dans la banlieue parisienne, les Camerounais ont engagé, par les voies diplomatiques, la double bataille de la réunification de leur pays et de sa libération par les Britanniques et les Français. Mais, ils n’ont pas été entendus.
Le 20 juillet 1922, pour leur malheur, la Société Des Nations, SDN, avait plutôt, en guise de réponse, purement et simplement légalisé le partage et la domination du Kamerun par la Grande-Bretagne et la France, à la plus grande déception des Camerounais. A partir de cette année-là, les Camerounais n’auront de cesse d’adresser des pétitions à la Commission Permanente des Mandats, CPM, organe de gestion des territoires sous mandat de cette organisation internationale, jusqu’à la fin de celle-ci, avec l’avènement de la seconde guerre mondiale.
La disparition de la SDN, a été un événement qui a été perçu, par les Camerounais, comme la fin, probable, de la domination étrangère dans leur pays, et la reconstitution de ce dernier. Mais, pour leur malheur, une fois de plus, leur sort a été décidé sans leur consentement. En effet, le 13 décembre 1946 ont été signés les accords de tutelle, entre les Nations Unies, la France et la Grande-Bretagne, sans consultation aucune des Camerounais. Ils ont simplement appris, un beau matin, que la domination de leur territoire et sa division, allaient se poursuivre dans le cadre de cette nouvelle organisation mondiale qui venait de voir le jour à San Francisco, c’est-à-dire l’ONU. Inutile de dire que cette nouvelle les a, de nouveau, attristés au plus haut point. Néanmoins, leur réaction ne s’est pas fait attendre, d’autant que la fin du second conflit mondial s’est traduite, pour eux, par l’octroi de libertés politiques par les deux colonialistes. Ils disposaient, désormais, de la possibilité de s’organiser en partis politiques.
Du côté sous domination française, le 10 avril 1948, c’est connu, ils ont créé un parti politique nationaliste, l’UPC. Son programme politique était, pour rappel, « réunification, immédiate, et indépendance ». Du côté sous domination britannique, ils ont même fait mieux. La quasi-totalité des partis politiques qu’ils ont créés, ont tous inscrit la question de la réunification en tête de leur programme.
Mais, en revanche, les Franco-britanniques, pour ce qui les concerne, ne l’entendaient pas de cette oreille. Ils s’étaient déjà, et pour l’éternité, partagés notre pays, et il était totalement hors de question qu’ils remettent cela en cause. Ils se sont, en conséquence, mis à combattre, avec acharnement, côté français, cette idée, et plutôt avec désinvolture, côté britannique. C’est ce qui explique le fait que les nationalistes soient parvenus à prendre le pouvoir côté britannique, et ils ont été tous assassinés, côté français.
En clair, le projet de réunification était, sans autre forme de mesure, nationaliste. Il était tourné contre la France et la Grande-Bretagne, en plus d’être au bénéfice des Camerounais.

LE DISCOURS SUR L’UNITE NATIONALE : UN DISCOURS ANTI-NATIONALISTE

Quelle aura été la réaction des Français face à la détermination des Camerounais à reconstituer leur pays ainsi que celui-ci était au moment de sa division le 4 mars 1916 ?
Nous l’avons déjà dit, ils se sont mis à pourchasser les Camerounais qui promouvaient cette idée : Ruben Um Nyobè, Félix Moumié, Abel Kingué, Ernest Ouandié, Omog Gertrude, Isaac Nyobè Mpandjock, etc. Ce n’est pas tout, ils ont, à travers le Haut-commissaire Roland Pré, procédé aux massacres de la semaine du 22 au 28 mai 1955.
Une fois Roland Pré limogé et remplacé par Pierre Messmer, d’abord, puis Jean Ramadier, par la suite, ils ont introduit le discours sur « l’unité nationale » comme dissolvant de celui sur la « réunification et l’indépendance » que propageaient les nationalistes. Celui-ci, conçu par Jean Ramadier, a été énoncé, pour la première fois, le 18 février 1958, à l’occasion de l’investiture du second Premier ministre de l’Etat semi-autonome du Cameroun, Ahmadou Ahidjo. Dès le lendemain, à savoir le 19 février 1958, et jusqu’à ce jour, les Camerounais se sont ainsi retrouvés face à deux discours antagonistes, opposés, s’excluant l’un l’autre. Celui sur « la réunification et l’indépendance », en langage courant, « Blancs, quittez notre pays et rentrez chez vous », d’une part, et celui sur « l’unité nationale », qui, lui, signifie, « c’est parce que vous êtes constitués en plusieurs tribus que vous ne pouvez pas progresser, que vous êtes sous-développés ; il vous faut donc être unis, et vous sortirez de la pauvreté ».
En clair, un discours de culpabilisation, pour les Camerounais, « vous êtes, vous-mêmes, la cause de vos malheurs, unissez-vous et ceux-ci prendront fin », un discours de disculpation, pour les Français, « ils nous ont sorti des ténèbres, nous ont apporté l’hygiène, l’instruction, des routes, le bonheur, au prix, parfois, de leurs vies ». En d’autres termes, les Français, au Cameroun, du mois d’août 1914 au 31 décembre 1959, n’ont égorgé personne, incendié aucun village, exploité aucun Camerounais, brûlé aucun champ, pendu qui que ce soit, etc. Ils sont venus chez nous pour nous apporter la lumière, nous sortir de nos interminables guerres tribales, de la barbarie dans laquelle nous vivions depuis la nuit des temps.
Comment résumer un tel discours ? Un discours anti-nationaliste.
Le 1er mai 1958, Ahmadou Ahidjo, en créant son parti politique à Garoua, l’Union Camerounaise, UC, en a fait son idéologie en trois points : 1/- Union nationale ; 2/- nation camerounaise ; 3/- coopération franco-camerounaise.
Quelles ont été les conséquences immédiates de ce discours dissolvant du patriotisme ?

LES CONSEQUENCES DE TRIOMPHE DU DISCOURS SUR l’UNITE NATIONALE

Les Camerounais ont commencé, par le gouvernement Ahidjo interposé, à se regarder à travers leur appartenance tribale, car, il ne fallait pas qu’une tribu quelconque n’en domine une autre. Les idéologues d’Ahmadou Ahidjo ont théorisé cette vision rétrograde des choses à travers les thèmes du « développement harmonieux et équilibré de la nation », et de « l’équilibre ethnique, l’équilibre régional ». Il fallait, dans chaque ministère, dans chaque administration, dans chaque société parapublique, etc, « équilibrer » les tribus, afin qu’aucune ne prenne le dessus sur une autre. Dans les concours administratifs, le régime d’Ahmadou Ahidjo a introduit une double citoyenneté : une « avantagée par le colonialisme », le Sud Cameroun, et une autre « désavantagée » par celui-ci, le Nord Cameroun. Jusqu’à ce jour, c’est ce discours qui prévaut.
Ruben Um Nyobè, quant à lui, lorsqu’il se rendait à l’ONU, ne le faisait pas pour aller y avantager les Bassaa, son groupe ethnique, au détriment des autres, mais, bel et bien, tous les Camerounais. C’est cet esprit qui gênait, considérablement, les Français, et qu’il fallait tuer pour être en mesure de continuer à dominer notre pays, longtemps après la proclamation de l’indépendance. A ce jour, le moins que l’on puisse dire, est qu’ils y sont parvenus. Et c’est bien dommage…

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