lundi 18 février 2008

Interview au journal LE FRONT

Jeudi 1er février 2008

Question : M. le président, votre formation politique ne fait pas parler d’elle depuis quelques années. A quoi est dû ce mutisme ?

Enoh Meyomesse : simple repli tactique. Nous partons du principe que le tigre ne sort pas ses griffes tant qu’il n’a pas aperçu un gibier à attraper. L’élection présidentielle que le président de la République désire organiser par surprise cette année-ci, nous semble de nature à sortir nos griffes, et à abattre le lion qu’il est. Nous sommes d’ores et déjà engagé dans cette campagne électorale, c’est pourquoi vous allez, actuellement, entendre parler de nous, plus que par le passé.

Question : vous venez d’annoncer votre candidature à l’élection présidentielle de 2011. N’est-ce pas un peu trop tôt ? Qu’est-ce qui motive cette nouvelle sortie politique ?

Enoh Meyomesse : Non, ce n’est pas du tout trop tôt. Le président de la République désire organiser des présidentielles cette année-ci, ainsi que nous venons de le dire, alors, il n’y a pas une minute à perdre si l’on désire lui barrer, avec succès, la voie. Et même si le scrutin était maintenu pour 2011, ce ne serait pas, non plus, trop tôt. Regardez, un peu, comment les choses se déroulent dans les pays démocratiques qui nous servent de modèle. En France, Nicolas Sarkozy est candidat depuis cinq ans, c’est-à-dire, depuis le lendemain de la dernière présidentielle. Aux Etats-Unis d’Amérique, Barak Obama et Mme Clinton sont candidat depuis près de deux ans. C’est de cette manière que les gens sérieux procèdent. C’est comme ça que les gens qui désirent gagner procèdent. Il faut du temps, pour que la population s’accommode à l’idée qu’untel est candidat. Tout d’abord, il y a de l’indifférence, ou, dans le meilleur des cas, de la surprise. Parfois même, il y a de la rigolade. Mais, au fur et à mesure que le temps passe et que le candidat développe sa pensée, la rigolade cesse, s’il s’y prend bien, ou alors s’accentue, s’il s’y prend mal. Et, au bout du compte, longtemps avant l’ouverture de la campagne électorale, au moins 70% des électeurs se sont déjà fait leur opinion. Les 30% restant, seront à conquérir au cours de la campagne. C’est ainsi que les choses se passent, lorsque l’on désire réussir. Venir se déclarer candidat le jour du lancement de la campagne électorale, c’est tout simplement de la farce, ou alors, un moyen d’empocher les 15 millions alloués à chaque candidat par l’Etat. Faudrait-il, enfin, rappeler que l’on ne nourrit pas la poule le jour du marché ?

Question : Le débat sur la modification de la constitution bat son plein. On parle notamment de la révision de l’article 6, alinéa 2 de la constitution, qui est relatif à la limitation des mandats présidentiels. Qu’en pensez-vous ?

Enoh Meyomesse : Ce que j’en pense est que Paul Barthélemy Biya est, actuellement, le meilleur candidat contre l’opposition. C’est lui que celle-ci est le plus en mesure de battre au cours d’une élection présidentielle, au regard de son bilan lamentable. Aussi crétinisés, politiquement, que le sont actuellement les Camerounais, un nouveau candidat présenté par le Rdpc, viendrait créer la confusion dans leurs têtes, et compliquerait, considérablement, ainsi, la tâche à l’opposition. En conséquence, je suis de ceux qui estiment que, étant donné que nous ne pouvons empêcher le président de la République de modifier, une fois de plus, la constitution, il faut plutôt se mobiliser et le battre avec sa constitution modifiée ainsi que Abdoulaye Wade avait battu Abdou Diouf, au Sénégal, avec sa constitution modifiée. Les Sénégalais seraient-ils plus intelligents que les Camerounais ? Ou bien, ce sont les Camerounais qui seraient plus bêtes que les Sénégalais ? Pourquoi ne réussirions-nous pas à faire ce que les Sénégalais, eux, ont fait chez eux ?

Question : Y a-t-il lieu de procéder à une nouvelle révision de la constitution alors que des institutions prévues par celle de janvier 1996 comme le Sénat ne sont pas encore fonctionnelles ?

Enoh Meyomesse. Notre point de vue est que les Camerounais ont besoin d’une constitution qui soit la leur. Nous n’épiloguons pas sur cette constitution, parce que, dans notre programme présidentiel, nous nous engageons, si nous sommes élu, à élaborer, purement et simplement, une véritable constitution pour le peuple camerounais. Faudrait-il rappeler que jusqu’à ce jour, les Camerounais n’ont ni participé à l’élaboration, ni voté, aucune des constitutions qui ont régi la vie de la nation ? Celle de 1960. Elle avait été apportée par l’ambassadeur de France et offerte à Ahmadou Ahidjo, qui a créé un prétendu « Comité Consultatif Constitutionnel », chargé de se prononcer sur ce projet. Tout s’est donc déroulé à l’insu du peuple. Et, le 21 février 1960, lors du référendum sur l’adoption de cette constitution, le gouvernement Ahidjo avait dû procéder à des fraudes sans précédant pour faire adopter cette constitution apportée par la France, au bénéfice des intérêts français, et qui faisait de lui un quasi-monarque. Nous renvoyons les Camerounais aux journaux de l’époque. Une année plus tard, la constitution de la République fédérale a été élaborée et adoptée, de nouveau, à l’insu du peuple, par l’assemblée nationale. Celle de 1972, a été élaborée par le gouvernement Ahidjo, à la demande de la France qui désirait, suite à la nationalisation des avoirs pétroliers français en Algérie, entamer l’exploitation du pétrole camerounais. Mais, problème, celui-ci était situé au Cameroun occidental, c’est-à-dire en « zone anglaise », comme on disait à l’époque. Or, la guerre du Biafra, au Nigeria voisin, venait de prendre fin. La France redoutait donc que les Anglophones ne s’inspirent de cet exemple, et ne proclament la sécession. Une seule solution, mettre fin au baratin d’Ahmadou Ahidjo sur la « réussite exemplaire du fédéralisme à la camerounaise ». En d’autres termes, abolir l’Etat fédéral, au Cameroun, et passer à l’Etat unitaire. Ahmadou Ahidjo, en obligé de Paris, n’a plus eu qu’à enrober la pilule, en racontant aux Camerounais qu’il fallait passer à une « étape supérieure de l’unité nationale ».Ainsi, le 20 mai, les Camerounais n’ont trouvé, dans les bureaux de vote, que deux types de bulletins : le « OUI », et le « YES ».Ils devaient choisir l’un d’eux. C’est ainsi que cette constitution a été adoptée, « de manière triomphale », à une « écrasante majorité », et que « le peuple camerounais a prouvé sa grande maturité politique ». Celle de 1996, on s’en souvient, exemple unique dans toute l’histoire de l’humanité, a été élaborée par courrier postal, par fax et par appels téléphoniques. Est-ce sérieux ? C’est pourquoi nous estimons qu’il faut, enfin, que le Cameroun puisse disposer d’une constitution que les Camerounais auront, eux-mêmes, non seulement élaborée, mais adoptée. Nous préconisons, pour cela, au lendemain de notre arrivée au pouvoir, la dissolution de l’assemblée nationale actuelle, et l’élection d’une assemblée constituante, ainsi que cela se passe dans les vraies démocraties. Après l’adoption d’un projet de constitution par cette assemblée, celui-ci sera soumis à un référendum, au cours duquel les Camerounais pourront dire, si oui, ou non, ils acceptent ce projet de constitution. Bien mieux, l’Etat devra financer, d’égale manière, tous les partis politiques en campagne pour ce référendum, les partisans du « OUI », comme ceux du « NON ». Donc, vous comprenez, lorsque vous me parlez du Sénat qui n’existe pas encore …

Question : la décentralisation sera désormais effective, s’il ne faut que s’en tenir aux récents textes signés par le président de la République. Pourra-t-elle mettre un terme aux velléités séparatistes ?

Enoh Meyomesse : Permettez-moi de contredire votre assertion. Ce que le président de la République entreprend, actuellement, n’est pas la décentralisation. Il faut, en effet, opérer une distinction nette entre la « décentralisation », et la « déconcentration ». Qu’est-ce que la décentralisation ? C’est le transfert du pouvoir de décision aux collectivités locales. Or, dès lors que, par exemple, il existe des délégués du gouvernement un peu partout, qui répondent du pouvoir central et qui coiffent les maires d’arrondissements élus par le peuple, il n’y a pas décentralisation, car le pouvoir de décision continue à être exercé par le pouvoir central à travers ces fameux supers maires non élus. C’est même une opération vicieuse, à savoir, contrecarrer la volonté populaire par un décret présidentiel. On le voit bien, à partir de cet exemple, il n’y a pas décentralisation, il y a, plutôt, décongestion. Car, qu’est-ce que la décongestion du pouvoir, c’est le fait d’éparpiller, à travers le territoire, les relais à travers lesquels le pouvoir central s’exerce. Il existe bien des gouverneurs, des préfets, des sous-préfets, des délégués provinciaux des différents ministères, mais, décident-ils ? Tout ne provient-il pas de Yaoundé ? Ne passent-ils pas le clair de leur temps à attendre les « instructions de la hiérarchie » ? N’envoient-ils pas tout à Yaoundé ? Pour qu’il y ait décentralisation, il aurait fallu que les préfets, les délégués départementaux des différents ministères, etc, décident, sur place, sans attendre les instructions de Yaoundé. C’est ainsi que cela se passe dans les pays développés et démocratiques : France, Allemagne, Espagne, mais pas en Russie, où nous avons affaire à une dictature similaire à celle du Cameroun. Donc, nous ne sommes pas de votre avis que la décentralisation sera désormais effective.

Malgré tout, nous tenons à préciser un point. Nous, au pouvoir, nous abolirons, purement et simplement, les délégués du gouvernement. C’est une pratique anti-démocratique et totalitaire. Pour les deux cas de Douala et Yaoundé, étant donné que nous aimerions en faire des métropoles à la fois modernes et pilotes en Afrique noire, nous allons leur appliquer le statut qu’avait la ville de Paris jusqu’en 1977. Nous allons ériger le commandement de ces deux métropoles camerounaises en Hauts Commissariats, au budget inscrit dans le budget de l’Etat, comme celui des différents ministères, et, pour cette raison, aux Hauts commissaires nommés par le pouvoir central, au même titre que les ministres. Il est nécessaire que l’Etat prenne lui-même en charge le développement de ces deux villes. Toutes les deux nécessitent de très grands et coûteux travaux. Par exemple, il faut construire des échangeurs à Yaoundé, creuser des tunnels. Nous en prévoyons un entre le carrefour Mvog-Mby, à Yaoundé, au niveau des brasseries, et Odza, en direction de l’aéroport de Nsimalen. Yaoundé, comme toutes les capitales du monde, a besoin d’une voie rapide qui dessert l’aéroport. La misérable route qui arrive de Nsimalen, actuellement, est honteuse pour notre pays. Nous en prévoyons un autre entre la vallée de Kondengui et Essos, un entre Olezoa et Biyem-Assi, etc. Pour Douala, alors qu’Abidjan en est à la construction d’un troisième pont, notre métropole économique en est encore à son misérable pont construit, en 1955, lorsque Douala ne comptait qu’à peine deux mille véhicules. Aujourd’hui, ce sont pas moins de cent mille véhicules qui circulent à Douala.

Quant à vote question se rapportant aux velléités séparatistes, il importe de revenir sur les relations entre les communautés anglophones et francophones, depuis la réunification, au Cameroun, pour bien comprendre la situation actuelle.

Tout a été faussé dès le départ. En effet, les colonialistes britanniques et français ne voulaient pas entendre parler de cette question. Ils l’avaient déjà réglée à leur manière en 1916, en se partageant notre pays. C’est Ruben Um Nyobè qui a eu l’outrecuidance de soulever cette question et d’en faire une revendication politique, côté francophone, John Ngu Foncha et Augustin Ngom Njua, côté anglophone. Au début, tout le monde leur riait au nez. Mais, à force d’en parler, ils ont fini par convaincre les Camerounais du sérieux de la question. C’est de cette manière que les franco-britanniques ont bien été obligés de la prendre, à leur tour, en considération. Pour tout dire, les Camerounais leur ont forcé la main. Mais, pour le malheur des Camerounais, les Français étaient parvenus à hisser au pouvoir Ahmadou Ahidjo, un personnage qui ne s’était pratiquement pas investi, ni dans la lutte pour l’indépendance nationale, ni dans celle pour la réunification du Cameroun. A preuve, les nationalistes, Ruben Um Nyobè en tête, affirmaient, à juste raison, que si la réunification ne s’opérait pas avant la proclamation de l’indépendance, elle ne s’opérait plus que partiellement, car les Britanniques avaient déjà coupé en deux parties la partie de notre territoire qu’ils s’étaient attribuée. En effet, ils avaient divisé celui-ci en « Northern Cameroons » et en « Southern Cameroons ». En plus, Ruben Um Nyobè insistait sur le fait que, les deux événements n’étaient pas liés. La division du Cameroun s’était opérée hors indépendance, sa réunification devait, de ce fait, également, s’opérer hors indépendance. Pourquoi lier les deux, à savoir, d’abord l’indépendance, ensuite, « on verra », selon la thèse d’Ahmadou Ahidjo, et de tous les hommes politiques, de l’époque, qui ne voulaient pas avoir d’histoires avec la France ? Malheureusement, c’est cette thèse de la traîtrise qui a triomphé. Et, le 1er janvier 1960, la partie du Cameroun sous domination française est devenue indépendante, sans que la réunification se soit opérée. A partir de là, tout s’est compliqué. La France et la Grande-Bretagne ont changé d’optique. Ils se sont entendus sur le fait que, le « Southern Cameroons », passerait sous domination française, pour calmer les revendications patriotiques camerounaises, tandis que le « Northern Cameroons », quant à lui, demeurerait sous domination anglaise, à travers le Nigeria. Un simulacre de référendum a ainsi été organisé les 11 et 12 février 1961, pour donner une légitimité politique à l’entente franco-britannique. Au lendemain du fameux référendum, les Camerounais auraient dû procéder à l’élection d’une assemblée constituante pour élaborer une constitution commune aux deux communautés. Malheureusement, cela n’a pas été fait. A la place, c’est plutôt l’assemblée législative du Cameroun sous domination française qui a procédé, unilatéralement, à la modification de la constitution offerte à Ahmadou Ahidjo par l’ambassadeur de France, Jean Benard, les Camerounais anglophones n’ont plus eu qu’à la subir. Première grosse erreur. L’ont-ils acceptée, cette constitution camerounaise au bénéfice de la France ? Deuxièmement, le 31 décembre 1958, Ahmadou Ahidjo avait, à travers les « conventions de coopération » signées avec le gouvernement français, offert la totalité du sous-sol camerounais à la France. Les Camerounais anglophones n’ont pas pu remettre en question ces fameuses conventions de la servitude, au moment des pourparlers sur la réunification tenus à Foumban au mois de mars 1961. Ce sujet n’était pas inscrit à l’ordre du jour. Pourquoi ? Voilà donc les Anglophones qui rejoignaient leurs concitoyens d’outre-Moungo, mais, aux pieds et poings déjà liés à la France. Comment ne pas s’étonner qu’ils s’en soient offusqués ? Le fait même qu’ils n’aient pas songé à rompre les pourparlers était très révélateur de leur désir profond et irrépressible de reconstitution de notre patrie commune, le Cameroun. Les Francophones avaient déjà vendu le pays qui leur revenait à la France, mais les Anglophones n’ont pas, malgré cela, reculé. Ils n’ont même pas posé le problème du champ d’application de ces accords. Ils auraient pu objecter que ceux-ci ne concernaient que la République du Cameroun, c’est-à-dire l’Etat fédéré du Cameroun Oriental. Les conventions franco-Ahidjo de décembre 1958 se sont, d’office, étendus au « Southern Cameroons » devenu Cameroun Occidental.

En reconstituant, malgré tout, leur pays divisé en 1916, les Anglophones se sont retrouvés confrontés à un autre problème de la plus grande importance : la brutalité d’Ahmadou Ahidjo. Ils étaient stupéfaits par la légèreté avec laquelle le président de l’Etat fédéral jetait en prison tous ses contradicteurs. Bien mieux, ce dernier a commencé à leur casser les oreilles avec ses histoires de parti unique. Ils ont résisté comme ils ont pu, mais, ont fini par céder à la peur. Ils ont, toutefois, obtenu la constitution d’un parti « unifié », à la place d’un parti unique. C’est ainsi que, du 5 au 7 août 1966, s’est tenu, à Bamenda, le congrès de dissolution du Cameroon United Congrès, C.U.C. de Salomon Tandeng Muna, du 11 au 14 août, celui du Kamerun National Democratic Party, K.N.D.P. de John Ngu Foncha, et du 27 au 28 août, enfin, celui du Cameroon People National Congrès, C.P.N.C. du Dr Endeley. Et le 1er septembre 1966, Ahmadou Ahidjo créait l’Union Nationale Camerounaise, U.N.C. parti « unifié », uniquement avec ceux du Cameroun Occidental, tous ceux du Cameroun Oriental ayant déjà la totalité de leurs dirigeants en prison. C’est pour cette raison qu’Ahmadou Ahidjo parlait de parti « unifié ». S’il n’avait eu affaire qu’au Cameroun Oriental, il aurait parlé de parti unique, tout court. Il y avait eu, effectivement, unification, entre l’Union Camerounaise, U.C. d’Ahmadou Ahidjo et de Moussa Yaya Sarkifada, et les partis anglophones. Pour les Anglophones, l’Union Nationale Camerounaise, était leur création commune, Ahmadou Ahidjo et eux. On comprend donc le courroux qu’ils ont ressenti, le 25 mars 1985, lorsque Paul Biya, sans les consulter, a, purement et simplement débaptisé le parti des Anglophones et d’Ahmadou Ahidjo, et l’a nommé Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, R.D.P.C. Ce fut, pour eux, un véritable coup de poignard.

Mais, auparavant, ceux-ci en avaient reçu d’autres. Nous avons déjà décrit, dans quelles conditions il a été mis fin au fédéralisme au Cameroun. Nous insisterons, simplement, sur un fait. Personne n’avait mené de campagne pour le « NON » au cours du référendum du 20 mai 1972. Donc, pour les Anglophones, c’était un coup d’Etat dont ils ont été les victimes. En effet, au lendemain de ce fameux référendum, le poste de Vice-président qui leur revenait, avait été supprimé. Pis encore, John Ngu Foncha et Augustin Ngom Jua, les deux artisans de la réunification, côté anglophone, n’étaient plus rien du tout. Ils se sont retrouvés au quartier, comme on dit chez nous. Quelle ingratitude !!! Peut-on mesurer la profondeur de la blessure qu’Ahmadou Ahidjo, et à travers lui, les Francophones, en général, ont infligée aux Anglophones ? Paul Barthélemy Biya est venu, également, approfondir cette blessure. Dès son accession au pouvoir, il a mis fin, unilatéralement, c’est-à-dire, sans s’encombrer d’un simulacre de référendum comme celui de 1972, à la République Unie du Cameroun. N’était-ce pas une provocation véritablement inutile ? En quoi est-ce que l’appellation République Unie dérangeait-elle ? Jusqu’à ce jour, nombreux sont les Camerounais qui continuent à se poser cette question. En alignant, bout à bout, toutes ces vexations à l’endroit des Anglophones du Cameroun, comment s’étonner que des idées sécessionnistes aient fini par voir le jour dans les provinces du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ? Si c’étaient les Anglophones qui avaient, ainsi, rudoyé les Francophones, ces derniers n’auraient-ils pas, également, donné naissance à un parti sécessionniste francophone ? Les Français disent fort bien : « ne faites pas à autrui, ce que vous n’aimeriez pas qu’il vous fit … » Au regard de tout ce que nous venons de rappeler, ci-dessus, nous ne pouvons que répondre, par la négative, à votre question : « Pourra-t-elle (la décentralisation) mettre un terme aux velléités séparatistes ? »

Question : la lutte contre la corruption vous semble-t-elle être bien menée ? Si non, que faudrait-il faire pour atténuer ce fléau ?

Enoh Meyomesse : Non, la lutte contre la corruption n’est pas du tout menée au Cameroun. Pourquoi ? Parce que la corruption et la fraude électorale constituent deux des trois grands piliers du régime du Renouveau. Le troisième pilier, c’est la gestion tribale du pouvoir. Les nominations tribales, à la place des nominations sur la base des compétences. Le régime du Renouveau se réjouit lorsqu’un haut fonctionnaire, un homme politique, en tout cas, un personnage bien en vue est corrompu. Il sait qu’il le tient en laisse. « Ah bon ! tu désires t’opposer à nous ? Police ! Enquête… » Et le malheureux bonhomme se retrouve à Kondengui comme Titus Edzoa, comme Pierre Désiré Engo, etc. Il se raconte, ces jours-ci, qu’Ahmadou Vamoulké, lassé des peaux de bananes qui lui sont jetées sous les pieds et de l’arrogance de la plupart de ses collaborateurs, aurait décidé de démissionner. Selon ces rumeurs, il aurait été convoqué par le chef de l’Etat. « Qu’est-ce que j’entends ? – Excellence, je ne parviens pas à travailler. - Je vous laisse encore le temps de réfléchir, M. le DG… » Après réflexion, le malheureux Dg s’est rendu compte qu’un audit financier pourrait être lancé sur sa gestion de la Crtv… Il a renoncé, aussitôt, à son projet de démission. Vrai ? Faux ? En tout cas, cette rumeur circule à Yaoundé.

Que faudrait-il faire pour atténuer la corruption ? Laisser les mains libres à la police judiciaire, plus précisément à la Division des Affaires Economiques, qui détient mille preuves sur tous les voyous du Rdpc qui pillent les caisses de l’Etat, à partir de leurs positions de pouvoir. Laisser les mains libres à la justice. Il ne revient pas au ministre de la justice de lancer des arrestations. Il est là pour procéder à la nomination des magistrats, et non pour lancer ou stopper des enquêtes.

Question : Que pensez-vous des orientations économiques actuelles du gouvernement ?

Enoh Meyomesse : Le Cameroun, dès 1960, a opéré de mauvais choix économiques opéré, lorsque nous accédions à l’indépendance. Notre gouvernement avait, reconduit, purement et simplement, le pacte colonial, à savoir, que de chez nous ne devaient provenir que des matières premières et des produits de base – cacao, café, coton, banane, hévéa, etc - et de l’Europe, plus particulièrement de la France, nous devions acquérir tous nos produits manufacturés. Sur la base de ce choix, il s’était lancé, tout azimut, dans des projets agricoles : « révolution verte », « ceinture verte », « Mideviv », « Sodecao », « Sodeblé », etc. Il avait, en même temps, créé de grandes manifestations agricoles, pour magnifier son choix. Ce fut la politique des Comices Agropastoraux. Le tout était englobé dans une politique « d’autosuffisance alimentaire ». Pour tout dire, le gouvernement camerounais se complaisait dans une sorte de rôle d’intendance, pour la population. Il n’envisageait pas autre chose. Ceci est d’autant plus vrai que, lorsque le Cameroun a commencé à produire du pétrole, le gouvernement s’est empressé de lancer son fameux slogan dissuasif: « l’or noire est éphémères, c’est l’or vert qui est éternel ». Entendez, n’accordons aucune importance à l’exploitation de notre pétrole, continuons à cultiver du manioc, de l’arachide, des ignames, du plantin, etc, c’est par là que passe notre bien-être et, par voie de conséquence, notre développement. (A vrai dire, le gouvernement camerounais ne pouvait tenir un autre langage, ayant déjà cédé le sous-sol camerounais à la France le 31 décembre 1958. le pétrole camerounais ne nous appartenait plus).

Lorsque l’on mise tout sur les produits de base, c’est-à-dire que l’on assujettit l’économie du pays entre le bon vouloir des capitalistes occidentaux qui fixent les prix de nos produits selon leurs caprices, on court le risque permanent d’un effondrement de notre économie, le jour où ces seigneurs décident d’acheter, à un prix inférieur, ce que nous produisons. C’est ce qui s’est produit, au milieu des années quatre-vingt. Nos recettes, sur les produits de base, se sont effondrées, et toute notre économie s’est écroulée. Le gouvernement camerounais s’est retrouvé totalement désemparé. Il ne savait plus quoi faire. Après quelques propos héroïques tenus pour tranquilliser la population, à savoir que « nous n’irons jamais au FMI », et un calcul manqué sur la possibilité de la République Fédérale Allemande à redresser notre économie, notre gouvernement s’est retrouvé obligé de se dédire. Il a finalement emprunté, la queue entre les jambes, le chemin de Washington. Une fois en ces lieux, les « docteurs miracles » ont sorti leurs bistouris : réduction du train de vie de l’Etat - choses que nous-mêmes nous aurions pu, comme de grandes personnes raisonnables, envisager - et, naturellement, désengagement de celui-ci, conformément à l’air du temps. Depuis, tout s’est effondré au Cameroun : le chômage a atteint des proportions alar-mantes, la vie est devenue excessivement chère, les hôpitaux publics sont devenus payant au mê-me titre que ceux du privé, le réseau routier en terre est devenu, dans plusieurs régions du Came-roun, totalement impraticable – les travaux publics ne s’en occupant plus, désengagement de l’Etat oblige – etc. Pour tout dire, le retrait de l’Etat, que s’est empressé d’accepter le gouver-nement camerounais, s’est traduit par une catastrophe monumentale.

Pour notre part, une fois au pouvoir, nous allons mener une politique économique basée sur trois points. 1/- Arrêt total des privatisations, et retour de l’Etat comme acteur économique. Concrètement, cela veut dire, renationalisation de la Sonel, de la Snec, de la Camrail, de la CDC, etc, et gestion, désormais, de ces entreprises telles que le sont des sociétés privées. Leur personnel ne proviendra plus de l’administration publique, elles ne seront plus gérées par les administrateurs civils ; 2/- Création de nouvelles sociétés d’Etat gérées selon les critères énoncés ci-dessus ; 3/- Création, à travers la bourse des valeurs de Douala, de nouvelles sociétés à capitaux populaires, sous la forme d’une auto-gestion nationale, s’inspirant du succès sans précédant et inattendu des coopératives d’épargne et d’investissements, au Cameroun.

Le président de la République commet une grave erreur en pensant que le secteur privé national est en mesure de relancer l’économie nationale. Pourquoi ? D’abord, nous ne disposons pas d’hommes d’affaires, mais, plutôt, de commerçants. Ensuite, on ne saurait compter sur ces débrouillards qui vont acheter de vieux pneus en Europe, des congélateurs jetés à la poubelle à Paris, Lyon, Hambourg, de vieux téléviseurs abandonnés, de vieilles cuisinières, etc, pour venir faire quoi que ce soit sur le plan économique. Enfin, nous devons nous inspirer des exemples qui ont réussi ailleurs. Aux Etats Unis d’Amérique, lors de la grande crise de 1929, Franklin D. Roosevelt avait utilisé l’Etat pour relancer la machine économique ; en Allemagne, Adolf Hitler avait fait de même, et avait tellement réussi que, six années plus tard, il rasait toute l’Europe ; Joseph Staline avait fait de même, en Union Soviétique ; Mao Tsé toung, également en Chine. Alors, lorsque Paul Biya parle, avec fierté, du désengagement de l’Etat qui va se poursuivre, ainsi qu’il l’a fait lors de son discours du 31 décembre 2007, est-il en mesure de nous citer un seul exemple de pays, au monde, qui soit sorti de la crise économique, avec un Etat qui se croise les bras, et regarde les hommes d’affaires se faire bouffer, tranquillement, par les capitalistes internationaux ? Quel est le pays, au monde, qui a redressé son économie en vendant tout le patrimoine économique national ? En revanche, nous sommes en droit de nous interroger sur le recours aux privatisations, pour le maintien politique du régime. Tout comme Ahmadou Ahidjo avait cédé le sous-sol camerounais, à la France, en 1958, afin que celle-ci fasse de lui le premier président de la République du Cameroun, ne nous retrouvons-nous pas avec un régime du Renouveau qui brade tout pour obtenir le soutien politiques de ces voyous qui viennent acquérir, pour des mies de pains, les entreprises camerounaises ? L’actualité de ces derniers jours est édifiante sur ce point. On a vu le DG du port limogé, alors qu’il produisait d’excellents résultats. Peu de temps après, les Camerounais ont appris, avec stupéfaction, que c’est Bolloré, un capitaliste français, qui avait exigé sa tête. C’est choquant, non ? Où est l’indépendance nationale ? Où est la souveraineté nationale qu’évoque, si souvent, le président de la République, ainsi qu’il l’a fait, tout récemment à Accra, lorsqu’il s’est agi de faire avancer l’Afrique ?

Question : Paul Biya vous semble-t-il encore en mesure de conduire la barque Cameroun ?

Enoh Meyomesse : en mesure ou pas, là n’est pas, de notre point de vue, la chose importante. Ce qui l’est, c’est qu’au bout d’un si grand nombre d’années au pouvoir, un homme politique est sclérosé. Et lorsqu’un homme politique se trouve déjà dans cette situation, c’est tout le pays qui sombre, également, dans la sclérose. C’est ce que nous vivons, actuellement, au Cameroun. Plus rien ne marche. Tout dort. De même que le Cameroun s’était réveillé, le 6 novembre 1982, lorsque Paul Biya succédait à Ahmadou Ahidjo, de même qu’il se réveillera, de nouveau, lorsque Paul Biya quittera, à son tour, le pouvoir. Il ne peut en être autrement. Le Cameroun, tant que Paul Biya continuera à trôner au pouvoir, ne fera que s’enfoncer, s’enfoncer, s’enfoncer… Pour notre part, nous sommes déterminés à mettre fin à cette descente ininterrompue, aux affaires, de notre pays. C’est pourquoi nous sommes candidat à la prochaine présidentielle.

Question : l’opposition camerounaise à laquelle vous appartenez n’a-t-elle pas montré toutes ses limites quant à la possibilité d’une alternance politique au Cameroun ?

Enoh Meyomesse : c’est évident. Mais, cette situation, au vrai, était inévitable. Pourquoi ? Parce que les personnages qui ont envahi la scène politique, dès que la démocratie a été réinstaurée au Cameroun, disposaient de beaucoup d’argent, dans de nombreux cas, mais pas du tout d’expérience du combat politique. Une chose est frappante. Tous, à quelques exceptions près, provenaient des rangs de l’UNC-RDPC. Or, cette formation politique comporte une grande faiblesse, c’est que, elle n’a jamais conquis le pouvoir. C’est plutôt le pouvoir qui l’a créée. Rappelons, pour mémoire, qu’Ahmadou Ahidjo a été nommé Premier ministre le 18 févier 1958. Après quoi, il a créé, à Garoua, le 1er mai 1958, l’Union Camerounaise, UC. Puis, le 1er septembre 1966, il a transformé l’Union Camerounaise, UC, en Union Nationale Camerounaise, UNC, par absorption pure et simple des partis politiques francophones, après avoir emprisonné tous leurs leaders politiques, et par fusion avec ceux du Cameroun Occidental, ainsi que nous l’avons évoqué plus haut. Paul Biya, de son côté, à transformé l’Union Nationale Camerounaise en Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais, RDPC, à Bamenda, le 25 mars 1985. En conséquence, les « militants » - terme ô combien impropre dans le cas du Rdpc- ne disposent d’aucune expérience de conquête du pouvoir. Une fois hors de ce parti, ils se sont tous retrouvés totalement désemparés, se sachant pas comment procéder pour renverser le régime. Ils se sont alors lancé dans du tribalisme. Toute l’année 1991-1992, a été dominée par un discours haineux à l’endroit des Beti. « Bête comme un Beti », « Beti égale bêtise », « Tchop bluk pot », etc. Ce faisant, ils ne se sont pas rendus compte d’une chose, ils resserraient les Beti autour de Paul Biya, ils lui offraient une citadelle imprenable. Un réservoir de voix d’au moins 30% de l’électorat. Les résultats, aujourd’hui, sont là, et parlent d’eux-mêmes. Le renversement de Paul Biya passe, impérativement, par la division du bloc électoral Beti, et assimilés, c’est-à-dire les populations du Centre, du Sud et de l’Est Cameroun. Paul Biya, pour sa part, le sait. C’est pourquoi il veille, comme un gardien, à ce que nulle candidature beti sérieuse ne voie le jour. Il sait que c’est là sa perte. Tant qu’il a, en face de lui, les John Fru Ndi, les Ndam Njoya, les Ben Muna, les Ekindi, les Bouba Bello, les Garga, il rigole. N’est-ce pas ce qui se passe ?

Site du candidat : www.enoh-meyomesse.blogspot.com

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