mardi 4 mars 2008

Interview à Camer.be le 27 février 2008

Le premier candidat déclaré aux élections présidentielles de 2011 commente les émeutes qui embrasent le Cameroun. Il salue l’action syndicale qui a repris de la plus belle des manières dans son pays. Le natif d’Ebolowa appelle à l’émergence d’un véritable leader au sein de l’opposition. Il propose aussi la dissolution de la société pétrolière SONARA.

Enoh Meyomesse, vous est-il possible de donner votre point de vue sur la situation socio-politique actuel du Cameroun à la rédaction de camer.be? Naturellement. Tout d’abord, nous avons suivi, avec beaucoup de désolation, le discours de Paul Biya. Comme à l’accoutumée, il a fait étalage d’une part de sa très grande suffisance, d’autre part de son mépris profond des Camerounais. Je ne dirai pas plus.

Comment appréciez-vous ce qui arrive dans votre pays ? Nous nous devons de relever, avec satisfaction, que les syndicats ont, enfin, repris vie au Cameroun. Ce sont ceux-ci qui ont mené, de bout en bout, les choses. Où étaient nos grands leaders politiques traditionnels ? Tous, si vous ne le savez pas, ont perçu de fortes sommes d’argent, soit pour retourner leurs vestes et soutenir le régime, soit alors pour ne rien dire, ou alors faire semblant d’être avec les grévistes, mais, sans plus. Je crois que vous êtes au courant des montants : 10 millions de francs cfa, pour cet ancien ministre qui a cassé les oreilles aux Camerounais, tout au long du week-end dernier. A nous, il a été proposé la moitié, pour que nous allions également tenir une conférence de presse au même titre qu’Issa Tchiroma. Ce que nous avons, tout naturellement, refusé de faire. ‘’Si Tonye Bakot n’avait pas été là’’

Que savez vous de la position des autres dirigeants notamment ceux de l’opposition ?
Même les leaders politiques les plus bouillants qui résident à Douala, et qui donnent à chaque fois l’impression d’être prêts à mettre le feu au Cameroun pour que Paul Biya parte du pouvoir, ont perçu de l’argent.

Vous voulez clairement dire qu’ils sont corrompus? Si oui par qui ? L’un d’eux, actuellement député, une fois son enveloppe en poche, a pris l’avion et se la coule douce, en ce moment, en France. N’êtes-vous pas surpris qu’il ne dise rien ? Nous devons vous rappeler que c’est toujours ainsi que les choses se passent. Souvenez-vous des sommes d’argent qui avaient été distribuées, au mois de décembre 2006, par le Premier ministre, à toutes les personnes qu’il avait reçues en consultation, au sujet d’ELECAM.

Pouvez vous nous en dire plus ? Seul Monseigneur Tonyé Bakot, archevêque de Yaoundé, s’était interrogé sur la raison de l’enveloppe d’un montant de trois millions de francs qui lui avait été remise. Réponse : « c’est pour votre carburant… ». Et lui de poursuivre : « de la cathédrale à ici, au Premier ministère, même pas un seul kilomètre, trois millions de carburant !!!! »
En revanche, tous les chefs de partis dont il n’est pas nécessaire de citer les noms, et qui ne manquent jamais une occasion pour dénoncer « le régime de Paul Biya corrompu jusqu’à la moelle » avaient cousu leurs bouches. Personne n’avait rien dénoncé cette fois-là. Si Tonye Bakot n’avait pas été là, les Camerounais n’auraient rien su du tout de ces marchandages sordides.

Revenons à l’actualité. Qu’est ce qui est à l’origine de l’explosion de la violence actuelle à votre avis? Nous ne pouvons que nous insurger devant la cherté de la vie au Cameroun. Faudrait-il rappeler que le litre d’essence coûte, au Nigeria, qui produit du pétrole comme nous, 241 francs, au Gabon, autre producteur de pétrole, 341 francs, en Guinée Equatoriale, pays également producteur de pétrole, 310 francs, et que, au Bénin, pays non producteur de pétrole, 400 francs cfa ? Nous, au Cameroun, nous nous retrouvons à 600 francs le litre, et, bien mieux, Talba Malla, le DG la Caisse de Stabilisation des Prix des Hydrocarbures nous fait savoir que l’Etat nous fait même une extrême faveur en ne fixant le prix de litre qu’à ce montant-là, car le véritable prix qu’il devrait faire payer aux Camerounais est de …700 francs cfa !!! N’est-ce pas scandaleux ? Chose encore plus choquante, Paul Biya a profité de l’euphorie des Camerounais à la suite de la victoire de notre équipe nationale en demi-finale de la C.A.N. pour augmenter, en catimini, de 16 francs, le prix du litre d’essence. Comment qualifier un tel comportement ? Et lorsque les choses se mettent à chauffer, il n’est plus là pour défendre sa décision…

Comment peut-on résoudre la crise du pétrole au Cameroun ? De notre point de vue, si la SONARA ne peut nous procurer, pour notre consommation locale, du pétrole moins cher, nous sommes partisan de sa fermeture. Il serait alors préférable de procéder comme le Bénin qui, bien que ne produisant pas de pétrole, commercialise son essence à 400 francs cfa à la pompe. Le pétrole que nous produisons, serait alors destiné à l’exportation, uniquement, pour nous faire gagner de l’argent. Mais, il y a mieux, Ahmadou Ahidjo ayant cédé le sous-sol camerounais à la France le 30 décembre 1958, il faudrait, avant tout, abroger ces accords, véritables traités inégaux, qu’il avait signés dans l’unique but d’être agréé, par le gouvernement français, comme futur président du Cameroun, deux années plus tard. Ceci nous permettra, par exemple, de devenir, enfin, membre de l’OPEP.

Quelle est votre analyse sur la crise actuelle de manière globale? Pour ce qui est de l’émeute, proprement dite, notre point de vue est le suivant : le peuple camerounais s’est, enfin, réveillé, après le cuisant échec des villes mortes, en 1991. En ce temps-là, nous étions de ceux qui condamnaient, fermement, cette aventure, pour la simple raison qu’il ne faut pas engager une révolution sans s’assurer de la conduire jusqu’à son terme. Autrement, la contre-révolution qui s’en suivra, sera terrible. C’est ce que nous avons connu après l’échec, pourtant prévisible, des villes mortes. Les initiateurs de cette méprise, ne disposaient d’aucun moyen de paralyser la ville de Yaoundé. En conséquence, ils n’avaient aucune chance de réussir. Après cet échec retentissant, les Camerounais ne croyaient plus aux vertus de l’insurrection, et le régime de Paul Biya s’est plutôt retrouvé renforcé.

Vous voulez dire que la démarche de la génération des manifestants actuels est à revoir et à corriger ? Par bonheur, aujourd’hui, nous avons à faire à une nouvelle génération de Came-rounais, qui n’ont pas connu cette époque-là. C’est pourquoi la lutte semble reprendre. Mais, il y a de nouveau un problème majeur. Nulle part, dans le monde, une insurrection spontanée n’a renversé un régime. Des auteurs de renom, à l’exemple de l’Allemande Rosa Luxembourg, dans les années 20, ont abondamment écrit sur ce sujet. Pour qu’une insurrection triomphe, il faut, absolument, un parti d’avant-garde qui conduise cette dernière. Or, malheureusement, dans le Cameroun d’aujourd’hui, nous sommes loin d’en disposer. En conséquence, il y a fort à parier que la révolte actuelle finira par s’estomper, même si elle dure plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Le chef de l’Etat prévient en effet que l’ordre régnera et que la paix sera rétablie
Quoi qu’il en soit, le président de la République est dans de sales draps. Il vient de découvrir que sa « large majorité » à l’assemblée nationale, ne lui garantit nullement une révision tranquille de la constitution afin qu’il puisse s’éterniser au pouvoir. La population, de toute évidence, est dans l’attente d’une étincelle pour s’embraser. L’augmentation surprise du prix du carburant en a été une. Nous voyons, actuellement, sa réaction. Jamais, depuis l’indépendance, survenue en 1960, c’est-à-dire il y a 48 ans, une grève n’a connu une telle adhésion générale. Jamais. C’est très mauvais signe pour le président de la République. Pis encore, il a reculé. Il a fini par consentir une légère baisse du prix fixé. En d’autres termes, le peuple lui a fait mettre un genou à terre. C’est terrible pour lui, « Monsieur la suffisance ». Actuellement, il est coincé. Il ne peut plus, de nouveau, même dans six mois ou un an, rajouter un centime de plus sur le prix du carburant, sans que le peuple ne redescende dans la rue. Ce n’est pas tout, il ne peut même plus augmenter aucun autre prix, sans que la population ne descende dans la rue. De même, s’il s’avise à continuer à modifier sa constitution, le peuple, de nouveau sera dans la rue. La situation est d’autant plus critique pour lui que, même les Beti qui avaient constitué, jusque là, l’armature politique de son régime, brisaient, dans la ville de Yaoundé, tous les mouvements sociaux, l’ont, cette fois-ci, lâché. Désormais, la capitale du Cameroun est en mesure d’être paralysée. Il ne peut donc plus crâner en ces termes : « quand Yaoundé respire, le Cameroun vit ».

© Camer.be : Réaction recueillies par Hermann Oswald G’nowa

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