samedi 9 février 2008

Interview au magazine SITUATIONS

Interview au magazine SITUATIONS

N°101 du vendredi 11 janvier 2008

ENOH MEYOMESSE. Ecrivain, journaliste et analyste politique, il vient de commettre deux ouvrages à forte teneur historique. Il es également en course pour la magistrature suprême.

Situation : Votre ouvrage intitulé, « La chute d’André Marie Mbida », tend à faire croire qu’André Marie Mbida avait raté son rôle historique. Qu’aurait-il dû faire ?

Enoh Meyomesse : De notre point de vue, le rôle de Mbida était double : 1/amener tous les Camerounais, sans exclusive, à l’indépendance. Or, il s’est braqué, sans raison, les upécistes. Il s’est mis à les traiter de démagogues, tout simplement parce que ceux-ci prônaient la réunification et une indépendance immédiate, conformément aux accords de tutelle entre les Nations Unies, la France et la Grande-Bretagne, du 13 décembre 1946. En sa qualité de Premier ministre, il lui revenait d’entrer en pourparlers avec les maquisards, et de les faire sortir, par la négociation, des forêts. Ce qu’il a catégoriquement refusé de faire. Il s’est plutôt mis à leur adresser des ultimatums et à les menacer de représailles s’ils ne s’exécutaient pas. 2/- obtenir une indépendance véritable pour le Cameroun. Pour cela, il lui fallait rassembler, derrière lui, en une sorte d’union sacrée, tous les Camerounais, et d’affronter, ensemble, les Français. Or, il est entré en guerre contre tout le monde, ses compatriotes, les colons français installés au Cameroun, l’administration coloniale, le Haut-commissaire Pierre Messmer, le gouvernement français à Paris. Il s’est donc retrouvé isolé. Il a, ainsi, fragilisé sa position. En conséquence, lorsqu’il a voulu résister au projet français d’une « certaine indépendance », c’est-à-dire une indépendance de pure forme, qui lui avait été présenté à la fin de l’année 1957, il ne disposait plus d’aucun soutien. Le renverser n’a plus été, pour les Français, qu’un jeu d’enfant. Ahmadou Ahidjo a été nommé à sa place, et ce dernier a cédé aux exigences françaises. C’est ainsi que, par exemple, désigné Premier ministre le 18 février 1958, il a cédé tout le sous-sol camerounais, et plus particulièrement le pétrole, à la France, quelques mois plus tard, à savoir, le 30 décembre 1958. Ce fut l’objet des « conventions de coopération » du 30 décembre 1958, autrement connues sous l’appellation, « accords de noël ». André-Marie Mbida n’aurait, en aucun jour, signé de tels accords. Si comparaison était raison, André-Marie Mbida n’a pas su manœuvrer ainsi que l’avait fait Ahmed Sekou Touré. Ce dernier avait dit non à la France, sans que celle-ci puisse pour autant le renverser, car, lui, il avait son peuple avec lui.

Situation : en même temps, vous semblez vouloir réhabiliter une figure historique finalement fort peu connue. Que doit-on retenir de ce personnage, d’après vous ?

Enoh Meyomesse. Un patriote courageux, quoique maladroit. De son œuvre, les Camerounais doivent retenir trois choses : 1/- l’hymne national ; c’est lui qui a adopté le Champ de ralliement comme hymne national. Le Chant de ralliement était ce chant patriotique composé et écrit en 1929 par les élèves de l’Ecole normale de Foulassi, dans la banlieue de Sangmelima, et qui était interdit par l’administration coloniale française. Quiconque était surpris en train de le chanter était jeté en prison. Ce chant, c’est le « O Cameroun berceau de nos ancêtres », qui n’était, ni plus ni moins, qu’un rejet de la France comme « mère patrie ». Il n’est que d’en lire les paroles pour s’en convaincre.

2/- le drapeau national : c’est André-Marie Mbida qui a doté notre pays d’un drapeau national, le Vert-Rouge-Jaune. 3/- la devise nationale : c’est enfin André-Marie Mbida qui a doté notre pays de sa devise, Paix-Travail-Patrie.

Situation : vis-à-vis d’Ahmadou Ahidjo, vous êtes nettement plus dur. C’est un dictateur quasi-illettré qui gère, avec gabegie, le Cameroun. Dans l’opinion publique, votre ouvrage, « Le limogeage d’Ahmadou Ahidjo », ne risque-t-il pas d’être mal accueilli, au regard de la popularité du premier président camerounais ?

Enoh Meyomesse : La « popularité » d’Ahmadou Ahidjo, actuellement, n’en est pas une. C’est une popularité par défaut, c’est-à-dire, qui ne dépend pas de lui. C’est parce que la politique de Paul Biya a lamentablement échoué que les Camerounais en arrivent à se mettre à rêver d’un paradis imaginaire perdu, qui serait celui du règne d’Ahmadou Ahidjo. Paul Biya aurait apporté la prospérité au Cameroun, que personne ne parlerait plus d’Ahmadou Ahidjo. Quant au côté dictateur et sanguinaire d’Ahmadou Ahidjo, qu’il me soit permis de rappeler certains faits. 18 février 1958, Ahmadou Ahidjo est nommé Premier ministre par le Haut-commissaire Jean Ramadier. Le 13 septembre 1958, Ruben Um Nyobè, le père, authentique, de notre indépendance, est assassiné. 24 avril 1960, le quartier Congo est incendié, des milliers de Camerounais périssent dans cette boucherie. 04 novembre 1960, assassinat de Félix Moumié à Genève, par empoisonnement. 1er Février 1962, 25 opposants meurent asphyxiés dans un wagon, entre Douala et Yaoundé, au court de leur transfert pour être torturés par Jean Fochivé, le tout puissant et terrifiant patron de la police politique d’Ahmadou Ahidjo. Février 1962, dispersion du congrès de l’Upc, au cinéma Les Portiques à Yaoundé, au moment où celui-ci devait aborder la question des responsabilités des uns et des autres dans l’assassinat de Ruben Um Nyobè. Mars 1962, signature de l’ordonnance 18-OF-62, portant répression de la subversion, terrible document qui a ruiné la vie d’un nombre incalculable de Camerounais. Juin 1962, quatre députés sont incarcérés, Théodore Mayi Matip, Charles Okalla, Marcel Bebey Eyidi, André-Marie Mbida, pour avoir publié une lettre ouverte dans laquelle ils donnaient leur opinion sur la question du parti unique dont parlait déjà abondamment Ahmadou Ahidjo. 1964, arrestation d’innombrables militants du PDC, déportation de ceux-ci dans le bagne de Tcholliré. 15 Mars 1966, assassinat d’Ossendé Afana, Ahmadou Ahidjo exige que sa tête lui soit présentée. L’armée retourne en brousse, tranche celle-ci, lui injecte du formole, la ramène à Yaoundé, où elle est présentée, au cours d’un conseil des ministres, à Ahmadou Ahidjo. Faudrait-il que je continue ? Si oui, pour rappeler que les intellectuels bamiléké estiment que la lutte contre le maquis dans l’Ouest a coûté …500.000 morts ! Personnellement, nous contestons ce chiffre, car nous le trouvons exagéré. Le Cameroun, en 1960, ne comptait que 3.000.000 d’habitants. 500.000 morts, équivalent à 15% de la population. C’est impossible. N’empêche, la répression en pays bamiléké a été terrible. Un « père de la nation » peut-il être digne de cette appellation, lorsqu’il traîne, avec lui, un tel bilan ?

La gabegie d’Ahmadou Ahidjo. Combien a coûté le palais d’Etoudi ? On parlait, au moment de sa construction, de 250 milliards. Une telle dépense était-elle raisonnable ? Combien de kilomètres de routes aurait-on pu goudronner avec un tel pactole, en ce temps-là. ?

Situation : vous citez de nombreux faits, vous soutenez quelques thèses (Ahidjo hué à Garoua, après sa démission, etc) qui ne sont souvent étayés que par des témoignages relativement anonymes (péripétie du jeune bulu candidat à la direction du cabinet civil, sans le savoir). Pourquoi est-ce ainsi ? (Difficultés de faire parler les acteurs ?).

Enoh Meyomesse : Il suffit de se rendre à Garoua, et d’interroger les gens, vous aurez au moins dix mille personnes qui vont vous raconter comment Ahmadou Ahidjo avait été abreuvé d’injures lorsqu’il y était arrivé le 6 novembre 1982, après avoir remis le pouvoir à Paul Biya, à Yaoundé, un gadamayo. Quant au jeune diplomate en poste à Lagos qui avait failli être nommé à la place de Paul Biya comme directeur du cabinet civil, il s’agit de Jean-Jacques Efangon, qui a fini ses jours, en 1986, comme préfet du Wouri. Par ailleurs, il suffit de se rendre aux archives du Minrex pour constater que l’ambassadeur à Lagos, en 1967, s’appelait Haman Dicko, et que son premier secrétaire s’appelait Jean-Jacques Efangon. Les enfants d’Haman Dicko sont du reste présents à Yaoundé, ils peuvent témoigner de l’amitié qui liait leur père à Jean-Jacques Efangon. Un des fils de Jean-Jacques Efangon porte même le nom de Dicko.

Situation : L’analyste politique que vous êtes, doit certainement pouvoir lire la situation actuelle (révision constitutionnelle) et en dire ce qu’il pense.

Enoh Meyomesse : Ce n’est pas compliqué, notre opinion est qu’un trop long séjour au pouvoir entraîne la sclérose. Le Cameroun, actuellement, est la République du sommeil, où plus rien ne se passe, tout dort dans la paix. La cause, ça fait trop longtemps que Paul Biya est là. Nous nous retrouvons, exactement, dans la même situation qu’en 1982. Le Cameroun était dans un profond sommeil, parce que Ahmadou Ahidjo trônait au pouvoir depuis 24 ans. De même que le Cameroun s’était réveillé le 6 novembre 1982, de même qu’il se réveillera, de nouveau, le jour où Paul Biya quittera, à son tour, le pouvoir. Pour notre part, nous allons contribuer à l’avènement de ce jour heureux. Nous participerons aux présidentielles de 2011, en qualité de candidat, pour contribuer à la défaite de Paul Biya. C’est une action de salut public, une action patriotique. C’est ce qu’il revient à tout patriote camerounais de faire actuellement.

Situation : Vos publications sont aussi courtes que leurs sujets sont sérieux.

Enoh Meyomesse : C’est exact. Nous partons du principe que les Camerounais sont sans le sou, mais, en même temps, ils désirent lire des livres sérieux. Alors, nous leur offrons de courts ouvrages, ce qui revient à bon prix, 2000 francs cfa pièce. On peut très bien traiter, à fond, un sujet en moins de cent pages.

Situation : Vos futurs chantiers ?

Enoh Meyomesse : Deux types de chantiers. Les chantiers littéraires. Nous venons d’achever la rédaction de deux ouvrages : un roman, « Le massacre de Messa, en 1955 », et un essai, « Le carnet politique de Ruben Um Nyobè ». Ceux-ci font suite aux deux précédents : « La chute d’André-Marie Mbida », et « Le limogeage d’Ahmadou Ahidjo ». Le roman paraîtra ce mois-ci, et l’essai, le mois prochain. Nous avons également en chantier deux autres ouvrages qui sont deux essais : « L’instauration de la dictature au Cameroun, de 1958 à 1966 », et « Trois conceptions de l’indépendance : Um Nyobè, André-Marie Mbida, Ahmadou Ahidjo ». D’autres suivront par la suite. Les chantiers politiques. Nous sommes d’ores et déjà candidat pour les prochaines présidentielles, avec pour programme, la refonte totale des institutions camerounaises, avec l’élaboration d’une nouvelle constitution qui sera adoptée par référendum, et l’arrêt total des privatisations au Cameroun, avec la renationalisation de la Sonel, de la Snec et de la Camrail, pour ne citer que ces deux points.


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